lundi 12 décembre 2011

Une modernité désapprouvée.


    La vie moderne que Tati nous montre à travers ses films n'est pas aussi belle qu'on pourrait le croire. Et pourtant il est vrai que ses grands bâtiments de verre, ses maisons design et ses gadgets high tech pourraient nous faire miroiter l'image d'une nouvelle ville, plus grande et plus belle..
Pour le réalisateur il en est autrement et cette modernité cache quelques vices..

       Tout d'abord il s'agit d'une modernité qui nous fait perdre tous nos repères. La ville de Playtime est évidemment grande mais surtout uniformisée. Tout se ressemble : les lignes, les formes, les gens...créant ainsi la sensation de se trouver dans un labyrinthe géant. Hulot cherche, se perd, essaye désespérément de retrouver Monsieur Giffart avec qui il a rendez vous, dans cette immensité. Il n'existe plus de limites entre l'intérieur et l'extérieur. Les espaces se ressemblent : dans le hall de l'aéroport, on pourrait se croire dans un hôpital. Le réel lui même semble se troubler : est ce Monsieur Giffart que Monsieur Hulot aperçoit la bas? Ou bien n'est ce que son reflet?
Difficile de s'y retrouver et par conséquent de se faire un chemin. Et pourtant il suffirait de suivre les flèches sur le sol..
Plus de place pour la pensée libre, il faut suivre les lignes et ne pas dévier. Quitte à ce que notre comportement et nos actes deviennent totalement illogiques
On a alors devant nous un monde oppressant : oppressant de bruit à l'extérieur, de silence à l'intérieur, oppressant par cette foule qui semble ne suivre qu'une et une seule direction, oppressant de similitude, de neutralité...





     Cette neutralité se retrouve également au niveau des couleurs, des tons qui s'étendent à une unique palette de gris, noir, blanc..les couleurs manquent. Comme la vie. Que ce soit dans les bureaux de travail où les hommes d'affaire portent tous les mêmes complets gris, les femmes les mêmes jupes longues et étroites, ou bien au sein même de la maison. La Villa Arpel par exemple est entièrement blanche, comme immaculée. Mme Arpel, maniaque de la propreté porte d'ailleurs chez elle une combinaison qui lui donne l'air d'une infirmière dans un hôpital.

 
Il est plaisant par contre de voir revenir les couleurs, les bruits de la vie, les rires, les éclats de voix, dans le petit bourg de Mon Oncle. Ou bien encore dans le village de Jour de fêtes.
Dans ces endroits, Tati y met la vie, la vraie, la simple. Celle des petites gens. La vie dans laquelle il est agréable d'aller se boire un godet entre amis ou de manger un gros beignet à la confiture à la sortie de l'école.


    Ainsi la vie moderne est aux yeux du réalisateur comme vidée de tout sens, comme totalement absurde. La modernité en devient ridicule. Ridicule car censée faciliter la vie et pourtant elle la complique. La Villa Arpel, dernier cri contemporain, en est un bon exemple : malgré que "tout communique", chaque espace de la maison a une seule fonction. Dans le jardin on trouve alors le coin pour déjeuner, celui pour boire le café et le coin pour recevoir les amis, séparés par des petits chemins en pierre qu'il faut suivre. Et bien sur, ne surtout pas marcher dans l'herbe! Les déplacements sont donc limités, presque chorégraphiés. Les mouvements, les espaces..tout doit suivre cette fameuse ligne de conduite. Pas d'écart possible, comme si tout avait une finalité. Et c'est bien ce qu'il manque à Monsieur Hulot d'après sa sœur : "ce qu'il faut à mon frère, c'est un but!"...

Et pourtant, malgré que tout soit bien défini, on a plutôt l'impression que ça tourne pas rond dans cette vie moderne.

 


    Et puis de toute façon, la modernité que nous présente Tati est un progrès qui n'ait réservé qu'aux riches. Ces derniers ne se mélangent pas avec le reste du village. Ils sont maniérés, prennent de fausses allures de petits bourgeois et sont superficiels.
Nous pouvons alors penser à Mme. Arpel mettant en marche son jet d'eau lorsque quelqu'un sonne à son portail. Mais l’éteignant aussi sec lorsqu'elle s’aperçoit finalement qu'il ne s'agit que de son frère Hulot. Une façon certainement de prouver une supériorité matérielle et donc sociale qui est censée éblouir.

 

Superficialité que ne comprennent pas "les pauvres", ceux qui vivent simplement. L'air perplexe et dépassé du marchand de quatre saisons qui vient apporter des légumes à Mme Arpel devant la fontaine et le bruit d'égorgement qu'elle produit lorsqu'elle se met en marche, est d'ailleurs très amusant et très significatif du gouffre qui partage ces deux catégories sociales.

On voit à sa démarche comme allégée de tout appréhension, qu'Hulot quant à lui préfère amplement monter les trois étages tarabiscotés de son vieil immeuble, alors bien plus original et convivial que la villa Arpel, symbole de l'habitat stéréotypé et déshumanisé. 









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