lundi 12 décembre 2011

La modernité à l'écran

Jacques Tati a choisi de représenter la modernité avec efficacité à travers différentes techniques cinématographiques en prenant pour décor et sujet l'urbanisation grandissante des espaces français.



- Décors et Architecture : Jacques Tati a toujours accordé une grande importance aux décors dans ses films, et l'architecture dans Playtime est certainement sa consécration. Pour ce film, Tati décide de prendre tous les risques. Le tournage commencé le 12 Octobre 1964 en décors naturels à Orly est immédiatement interrompu. Il était en effet difficile d'interrompre le trafic dans un tel endroit. Le réalisateur décide alors de tourner la quasi totalité du film en studio à "Tativille". Pensée par Tati et dessinée par Eugène Roman, Tattiville commence à jaillir en Septembre 1964 sur un terrain vague de près de 15 000m2 à Joinville le Port.
C'est alors d'énormes constructions qui se mettent en place pour finalement voir apparaitre des escaliers roulants, de grands ensembles d'habitations, des immeubles aux façades de d'acier et de verre et des rues bétonnées...

La ville ultramoderne que Tati dépeint dans ce film est alors gigantesque et géométrique. Aussi bien en extérieur qu'en intérieur. Les lignes se croisent, paraissent infinies et semblent montrer le chemin à suivre pour les hommes comme s'il était prédéfini par tous ces traits urbains.
Les matériaux utilisés pour l'architecture sont également des plus modernes pour l'époque : acier, béton et verre.

Le verre donne un aspect de transparence, il abroge toute limite entre l'extérieur et l'intérieur. Il y a les bureaux de travail en verre mais aussi les maisons d'habitations en verre. Nouvelle maison ouverte sur le monde. Le simple passant est alors placé au rang de voyeur et les habitants à ceux d'exhibitionnistes. On voit tout et ça ne semble pas déranger. Par contre, on n'entend rien, comme si finalement cette transparence était opaque, vide. Le verre semble ouvrir vers un tout alors qu'il ne contient rien. Une modernité vide de contenu, vide de sons, vide de sens.

L'acier et le béton quant à eux amènent une dureté, une sobriété des tons à l'image d'une ville uniformisée.

La Villa Arpel dans Mon Oncle, qui n'est pas sans rappeler l’œuvre de Le Corbusier, est également un bon exemple d'architecture moderne : façade blanche et nue, toit terrasse, des formes géométriques cubistes, un plan libre (comme dirait Mme. Arpel : "Vous voyez, tout communique!") et construite avec des matériaux modernes.

L'intérieur de la maison est alors tout aussi futuriste: un aménagement sobre, pas de tapis au sol ou de tableaux au mur, un mobilier design qui étonne tellement les formes sont restructurées et des gadgets électroménagers high tech. Intérieur (résolument fonctionnel) qui facilite la vie de tous les jours, un intérieur symbole d'une nouvelle manière de vivre : une vie "sans ornements", déshumanisée et automatisée.






- Les sons et les bruits :

       Jacques Tati est un auteur des plus moderne par l'importance qu'il a donné aux sons et aux bruits dans ses films. Il a réussi à donner aux bruits une nouvelle dimension et les a élevés au rang de la parole. Ou plutôt devrait on dire, qu'en bouleversant la hiérarchie classique des sons au cinéma, la parole ne devient qu'un bruit parmi les autres. Il n'y pas ou très peu de paroles distinctes, les bruits et sons deviennent musique et prennent une place à part entière dans la bande son.
Ce refus de la narration classique et cette volonté de ne pas donner l'importance au Verbe, au contraire de privilégier le non verbal et de créer une véritable poétique du bruit, a fait de Jacques Tati un cinéaste avant gardiste. 

Dès lors, tous les sons du quotidien : bruit de pas, son d'une crevaison, d'une chute d'une carafe sur le sol...prennent une toute nouvelle ampleur et affirment toute leur capacité à faire rire et à amuser.

Il était alors simple pour Tati de rendre compte d'une nouvelle modernité à travers les bruits. De bruits robotisés et agressifs, la vie du futur en est remplie. Au sein même de la maison..



 

Ainsi les bruits de la modernité selon Tati sont ceux de la ville, des voitures, de la foule, ceux des robots et des machines. Ils prennent l'avantage sur la parole et donc de cette façon, sur l'homme.


- Les sujets traités :

   

       L’œuvre cinématographique de Jacques Tati se situe dans 
une période historiquement importante pour la France. Avec son premier film sorti tout juste au lendemain de la seconde guerre mondiale, Tati voit alors se développer une nouvelle société française qui veut tourner la page de la guerre, une société des loisirs, ouverte vers le monde et essentiellement les États Unis, une société qui se construit, qui se modernise.
Jacques Tati va alors s'intéresser à ces changements, se situe en tant qu'observateur, et les met en scène à travers ses films. Il en est d'autant plus moderne.

Par exemple, Les Vacances de M. Hulot, est sorti dans les salles de cinéma le 25 Février 1953 et les modifications que connaît alors la population française dans leur mode de vie sont en partie retranscrites.
Le développement des loisirs et du tourisme est montré de façon évidente. Les vacanciers ont à leur disposition diverses activités, le plus souvent sportives : ballade à cheval, ping-pong, tennis, gymnastique… Le personnage d’Hulot qui ne sait ni jouer au tennis (malgré l’originalité de son jeu qui lui permet de remporter tous ses matchs), ni monter à cheval, permet de montrer que l’accès à ces activités est un phénomène relativement récent et qu’il représente pour les vacanciers une nouveauté dans leur mode de vie.

         L’essor de l’automobile qui a lieu après guerre, est également présenté. 

Dans Mon Oncle, Monsieur Arpel, nouveau riche fier de sa maison futuriste, achète pour son anniversaire de mariage, une magnifique voiture américaine. Tati a toujours joué sur une rupture entre différentes périodes : montrer à la fois la société dans lequel il vit associée à une vision d'une société futuriste, ou en tout cas en avance avec sa propre époque. Ainsi cette voiture est à l'image du devenir de la société et son besoin nouveau de consommation.
Parfois cette rupture s'est faite "dans l'autre sens", de manière plus décalée :ne pas montrer le devenir de la société mais au contraire, montrer ce qu'elle a été. Ainsi dans Les Vacances de M. Hulot, cela passe alors par le symbole de la vieille voiture d’Hulot, pétaradante et complètement déréglée qui s’oppose aux belles voitures françaises ou bien américaines qui deviendront la mode quelques années plus tard.
          
Ainsi, les films de Tati permettent au cinéaste de peindre le début d’une époque, celle d’après guerre où une partie de la population commence à gouter aux plaisirs du début d’une société de loisirs et de consommation.  Mais la vision de la société française transmise par les films de Tati est plutôt pessimiste : une société qui ne se mélange pas, une société qui peut être, au lendemain de la guerre, ne sait pas encore véritablement prendre du bon temps… Quoi qu’il en soit, Tati a toujours pensé et dit que « derrière l’effet purement comique, se cache toujours un petit peu de drame ».

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