samedi 17 décembre 2011

Introduction




Jacques Tatischeff nait dans la banlieue Ouest de Paris le 9 Octobre 1908. Après avoir préparé l’Ecole des Arts et Métiers afin de reprendre le métier familial d’encadreur, il choisit en définitive de se lancer dans une carrière de mime, au grand mécontentement de son père. Il crée alors plusieurs numéros d’imitation tels que le boxeur ou le cavalier, qui lui ont valu un grand succès et la possibilité de se produire sur des scènes de music hall sous son nom d’artiste : Jacques Tati. Il apparaît alors dans des courts métrages réalisés par d’autres tout d’abord, puis finalement par lui.

Son premier long métrage : Jour de fête, est réalisé en 1947. Son relatif succès lui permet de mettre en scène, avec encore peu de moyens, Les Vacances de M. Hulot.  Ce second long métrage, sorti en 1953 est l’un des plus importants car c’est dans ce film que son célèbre personnage, Monsieur Hulot, fait son apparition. Ce film connaît alors un triomphe international, notamment aux Etats-Unis. Le long métrage suivant, Mon Oncle 1958, est réalisé dans de bien meilleures conditions. Ce film sera tourné en deux versions, française et anglaise, et recevra plusieurs prix : un prix spécial à Cannes la même année de sa réalisation et un Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1959. Playtime, film très attendu, sort en 1967 mais est loin de rencontrer le succès attendu. Tati subira très longtemps les conséquences financières de ce film. Il faudra attendre l’initiative du réalisateur néerlandais Bert Haanstra pour lui permettre de tourner Trafic en 1971, où il se doit de remettre en vedette le personnage de Hulot, et la télévision suédoise pour lui proposer Parade en 1973.


Jacques Tati meurt le 4 Novembre 1982 alors que le projet d’un nouveau scénario, déjà bien avancé, était en cours. Jusqu’à la fin de sa vie, Tati aura toujours été fidèle à son style et aura refusé de nombreuses offres de production, un Tati italien par exemple, afin de défendre malgré son succès, sa liberté artistique.





 Il a été avec Chaplin, l’un des auteurs les plus complets du cinéma : à la fois acteur, scénariste, réalisateur et parfois producteur. Aujourd’hui encore, Tati réussi à rassembler des générations, se côtoyant pourtant peu, et à provoquer chez ce public hétérogène le même rire et le même attendrissement. Osant décevoir et se comportant en artiste, Tati a su construire son propre univers : un monde rempli de gags et d’absurdités peint de façon critique mais toujours avec une réalisation très raffinée.


  Dans l’ensemble de son œuvre, Jacques Tati, a souvent été critique de la société dans laquelle il vivait. En passant de la nostalgie d’une époque révolue dissimulée derrière le rire, à  la caricature d’une société absurde et ridicule, Tati est un véritable témoin de l’évolution de la société française d'après guerre.
Grâce à son personnage de Monsieur Hulot, personnage totalement lunaire et pur, le cinéaste montre son incompréhension et son regret vis-à-vis d’une société continuellement changeante, oubliant petit à petit les valeurs auxquelles elle était rattachée et que Tati, lui, n’a jamais oublié : la simplicité et la sincérité.

Un bel hommage est alors rendu par le réalisateur à travers son film Jour de Fêtes dans lequel il présente un petit bourg du centre de la France en pleine effervescence de ses préparatifs de la fête du village annuelle. Les enfants se réjouissent de l'arrivée des forains qui montent leurs manèges et leur fanfare sur la place. Un cinéma ambulant est installé. Il est alors l'occasion pour les villageois de découvrir un documentaire sur les performances des postiers américains. Impressionné, François le facteur du village interprété par Tati, décide de se lancer dans une grande tournée à l'américaine.
Le réalisateur a alors intentionnellement choisi de construire son décor dans un cadre rural où la générosité et l'humilité règnent. Dans ses films suivants, les décors comme les personnages, subiront visiblement les transformations de la modernité .


Même si le contexte ou le décor choisi n'est pas moderne, Jacques Tati insère toujours une part de modernité dans ses films. Jour de Fêtes n'échappe pas à la règle, à travers une modernité tout droit arrivée des États Unis. 



   Ainsi Jacques Tati est un réalisateur résolument moderne que ce soit dans sa technique cinématographique que dans ses sujets traités. Nous pouvons alors nous demander quelle vision Jacques Tati a t il décidé de donner à la modernité dans son œuvre?


lundi 12 décembre 2011


Playtime, Hulot dans la salle d'attente


Monsieur Hulot entre dans un grand immeuble en verre pour un rendez vous. Le gardien l'accueille et le fait asseoir.

1) Plan fixe. Le gardien d'un certain âge se dirige vers une grande machine complexe et couverte de boutons. Il appuie sur l'un d'eux en donnant l'air de ne pas savoir lui même ce qu'il est entrain de faire. Puis il appuie sur une deuxième, puis un troisième. A chaque fois des sons électroniques, jamais les mêmes : parfois un simple "bip", puis une succession de sons plus aigus, sont produits par la machine. Des lumières se mettent à clignoter nous donnant l'impression d'être devant une grande console de jeux vidéo.  Le gardien, complètement dépassé par cette technologie déroutante fini par obtenir une voix en ligne. Voix agressive et totalement mécanisée qui ôte alors toute trace d'humanité à cet échange. Il annonce l'arrivée d'Hulot et demande péniblement un correspondant :il est alors obligé de répéter plusieurs fois sa requête pour se faire comprendre à travers le haut parleur. Puis il appuie sur un ultime bouton, de façon presque aléatoire, pour donner fin à cette "discussion" et reste quelques instants à grommeler d'incompréhension devant la machine.


2) Changement de plan. Plan fixe à nouveau : Hulot assis au premier plan avec le gardien fumant sa cigarette et vue sur un très long couloir.
Des bruits de pas rythmés claquant sur le sol se font entendre annonçant l'arrivée du correspondant qui en effet apparait tout au bout du couloir. Monsieur Hulot qui n'a pas de vue sur le couloir, se lève pour l'accueillir mais le gardien lui fait signe de se rassoir et lui fait comprendre que l'homme que l'on entend n'est pas sur le point d'arriver: "Non, non, non..Oula". Le gardien regarde l'homme se rapprocher petit à petit. Hulot se relève, le gardien de nouveau lui dit de rester assis. Le gardien prend le temps de tirer une bouffée sur sa cigarette. Les bruits de pas se font de plus en plus proches tout en conservant la même allure, à la manière d'un rythme de métronome. Le gardien jette un dernier coup d’œil au couloir, voit que l'arrivée du correspondant est imminente et fait signe à Hulot de se lever. L'homme, droit, habillé dans un costume strict se présente alors face à Hulot qui se met à chercher laborieusement le papier du rendez vous dans ses poches. Il le trouve finalement grâce au gardien qui lui indique sa poche intérieur. L'homme lui demande alors de passer dans une autre pièce.

3) On fait entrer Monsieur Hulot dans la salle d’attente. La porte résonne quand il la franchit (« gling ! ») et quand il la ferme (« blank ! »). On se situe à l’extérieur de la pièce qui est elle aussi en verre. On entend les bruits de circulation du dehors, on voit les passants de la rue marcher sur le trottoir à quelques mètres seulement d'Hulot, enfermé dans sa "bulle" de verre. Par conséquent, bien que la caméra se trouve dehors, nous pouvons également le voir entrain d'examiner les moindres recoins de la pièce : les portraits accrochés au mur (portraits des patrons), les fauteuils. Il tâte l'épaisseur de l'un d'eux, et s'y assoit bassement.


4)Nouveau plan :on se situe maintenant à l’intérieur de la salle d’attente, avec Monsieur Hulot. L’atmosphère devient alors pesante, plus un son, le silence est lourd. Hulot se lève pour mieux observer un portrait, puis se retourne vers son fauteuil, surpris par le "flop" qu'il a produit à sa levée.

 5) Plan d'extérieur.   On "entend" à nouveau. Hulot arpente la salle, puis s'attarde sur une table proposant différents journaux. Il manque alors de tomber comme si le sol était devenu glissant mais poursuit son chemin en s'assurant cette fois ci de la stabilité du sol. 


6)Plan d'intérieur : La position de la caméra et la transparence du décor permettent d'avoir trois champs différents. Un premier plan : la salle d'attente dans laquelle on se trouve. Un second plan : le hall d'entrée de l'immeuble où se trouve le gardien.
Et un troisième plan : la rue et la circulation extérieure. 
Hulot examine de plus près un autre fauteuil (et pourtant il s'agit du même que le précédent): il tâte son dossier plusieurs fois, on entend son bruit ("pchit) lorsqu'il s'y appuie. Il finit par s’asseoir. Le fauteuil émet un grand « pfff… ». Puis comme un enfant qui s'amuserait, Hulot se relève rapidement pour regarder le coussin reprendre sa forme initiale.


Cette scène est un bonne représentation de la modernité dépeinte par Jacques Tati et conclura en cela cette étude. 

Tout y est : 

- L'importance donnée aux sons qui rythment les scènes et qui habitent véritablement les lieux. Les bruits prennent le dessus sur la parole qui n'est que grommelée. La voix apparait alors davantage comme un accessoire qui permet de caractériser un personnage. Les bruits quant à eux ont une toute autre portée : ils personnifient les objets mais également les espaces. Véritable génie de la part de Tati d'utiliser les sons pour différencier l'intérieur de l'extérieur dans ces espaces sans délimitations.. De cette manière, est ainsi mis en valeur le langage non-verbal, celui des gestes, des rythmes pour finalement aboutir à un système formel complexe, celui d’un code rythmique abstrait..le code de la modernité.

- L'image d'une modernité froide et mécanisée : dans cette scène et à travers le personnage du gardien, l'homme se retrouve face à la machine. Son utilisation parait alors fastidieuse et vidée de toute humanité. Les tons de la vie sont froids comme le verre. Les espaces sont certes beaux, mais vides. Les limites en sont de cette manière comme abrogées. Même le sol parait parfois apparaitre instable, comme se perdant lui même dans toute cette transparence. Hulot en perd même son équilibre.

- Le personnage d'Hulot : Perdu et mal à l'aise dans cette jungle urbaine et dans ces espaces sans vie, il apparait comme à son habitude naïf, gaffeur tel un contemplateur de la vie moderne qui découvrirait une nouvelle "philosophie" de vie et des rapports humains. Le personnage du gardien âgé, de petite taille et totalement perdu dans l'immensité du hall (il a probablement connu une autre manière de travailler) apparait alors comme aussi anachronique que Monsieur Hulot en ces lieux déshumanisés et comme le seul lien qui le rattache à une vie "dépassée".


- L'humour de Tati : Toujours présent bien que la scène soit profonde de sens et de gravité : Les personnages en total décalage vis à vis des lieux, le ridicule des situations, des objets design normalisés et sans intérêts, des sons amplifiés dans ces espaces vides, ridiculisant encore davantage cette modernité creuse et absurde. 
L'humour amené subtilement par le réalisateur permet alors de rire de toutes ces apparitions modernes auxquelles sont confrontés les deux personnages, dédramatisant l'angoisse née de la froideur de l'environnement comme s'il était nécessaire de prendre du recul et finalement d'en rire pour ne pas en pleurer. Le rire comme arme car "rire c'est réfléchir" disait il..
Jacques Tati rejoint en cela les grandes figures telles que Charlie Chaplin et son personnage de Charlot ou bien encore Jean Jacques Sempé avec son regard "innocent" mais juste de la vie moderne, qui ont su offrir des échappées poétiques hors de la modernité sans jamais la quitter. 









SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES ET WEBOGRAPHIQUES :


- CHION Michel, Jacques Tati, Cahiers du Cinéma, Coll. Auteurs, Bourges, 1987


- MAKEÏEFF Macha et GOUDET Stéphane, Jacques Tati : deux temps, trois mouvements, Naïve, 2009

- GUERAND Jean Philippe, Jacques Tati, Gallimard, 2007


- Beaux Arts magazine, Hors Série Humour et BD, TTM Editions, Paris, 2011


- http://paris.blog.lemonde.fr/2009/04/24/enfin-jacques-tati-lultra-moderne/

- http://www.tativille.com/


- www.youtube.com



Monsieur Hulot : un personnage hors temps




C'est en 1953 que le personnage de Monsieur Hulot apparait pour la première fois à l'écran dans le film : Les vacances de Monsieur Hulot.


 
     Personnage sorti tout droit d'un film muet dans le monde du parlant, la silhouette de Monsieur Hulot est reconnaissable au premier coup d’œil: une pipe au bec, vêtu d'un pantalon trop court, de son éternel imperméable et de son chapeau mou, des mains posées au creux des reins de manière presque désinvolte, une démarche rebondissante défiant les lois de la gravité et une allure qui penche et qui nous donne envie de la redresser à tout moment de peur de la voir tomber (de la même façon qu'Hulot lui même ne peut s'empêcher de surveiller la lente et inévitable chute de la guimauve du marchand de glace dans Les Vacances de Monsieur Hulot).. Apparence atypique, originale qui laisse présumer de son caractère..
Et en effet, c'est à travers ce personnage amusant que Tati illustre sa vision critique de la modernité.








On peut alors se demander si pour trouver le nom d'Hulot, Tati ne se serait pas inspiré de la chouette Hulotte. Chouette sympathique mais égarée lorsqu'elle sort en plein jour. De la même façon Hulot est un personnage égaré.
Totalement perdu devant l'accélération et l'urbanisation d'une nouvelle ville toujours de plus en plus moderne, image d'une nouvelle société qui commence à apparaitre, au détriment d'une certaine humanité.  

Le réalisateur pose alors une question existentielle : L'homme trouve t il sa place dans ce monde qui change?


Monsieur Hulot ne semble pas la trouver dans la trépidation de cette vie moderne. Personnage résolument naïf, accumulant les maladresses dans un monde qui bouge trop vite,incapable et refusant de s'adapter à une évolution si rapide des mœurs et des styles de vie, Hulot est resté dans une vie humaine, appréciant les plaisirs simples.


Et cela dérange..

En effet, son originalité et sa manière de vivre qui ne suit pas les lignes prédéfinies par la société, déplait à son entourage, et ce malgré lui.
Hulot ne ressemble pas à la vie moderne qui se dessine. Il sait encore apprécier les choses simples de la vie, prendre son temps, aider son prochain, et puis rire. Et cela peut expliquer qu'il ne plaise pas à son entourage.

Dans Mon Oncle, son beau frère M. Arpel, le considère comme un oisif, un irresponsable incapable de travailler sérieusement alors que finalement, Hulot n'est juste pas fait pour suivre le rythme froid et industriel de l'entreprise Plastac de son beau frère.
Par contre, Gérard son neveu l'adore. Et ce, parce qu'Hulot n'est pas sérieux : il l'amène jouer dans les terrains vagues, participe contre son gré parfois, à ses bêtises de gosse mais ne le sermonne jamais, lui offre des jouets amusants et surtout, il le tient par la main. Geste anodin et pourtant, geste que Gérard ne partage jamais avec son père qui est trop pris dans ses affaires (mais qu'il partagera finalement lors de la toute dernière scène du film comme si Hulot avait fini par réussir à dépeindre de son humanité sur son beau frère.)Pour Michel Chion :" Quel chemin compliqué ne faut il pas pour amener la main d'un enfant vers celle de son père!"...


Détesté par ceux qui ne le comprennent pas et qui sont dépassés par cette homme qu'ils trouvent curieux, aimés par d'autres qui sont encore animés par une âme d'enfant : Gérard, la jeune fille dans les Vacances de Monsieur Hulot touchée par sa gentillesse et son humour décalé, la vieille anglaise qui rit de ses bêtises...et d'autres encore.



     Monsieur Hulot a également été un personnage admiré pour son originalité et son indépendance:
En effet dans Les vacances de Monsieur Hulot, un personnage en particulier incarne cette idée d'admiration dissimulée : celui du mari toujours en ballade avec sa femme. A la fin des vacances, tout le monde se quitte comme si l'on ne s'était jamais rencontré.. Monsieur Hulot s'en va sans que personne ne lui dise au revoir, à l'exception de la vielle dame anglaise qui espère le revoir l'année prochaine et cet homme marié. Ce personnage est très symbolique et exprime à lui seul, la détresse intérieure commune de l’ensemble des habitants. En effet, tout au long du film, on le voit suivre sa femme toujours plusieurs mètres derrière elle d’avantage comme une obligation qu’un réel plaisir partagé. Lors des adieux, celui-ci se hâte alors après avoir vérifié que sa femme ne le regardait pas, d’aller serrer chaleureusement la main à M. Hulot l’air ravi et admiratif en le remerciant, bien qu'ils ne se soient jamais adressé la parole... Ce remerciement exprime alors toute la reconnaissance de cet homme, victime d'une ligne de conduite conformiste pesante et infranchissable, face à Hulot qui a été le symbole révélateur d’une liberté enviée.



Ainsi Monsieur Hulot est une figure atypique, et finalement pas tant que ça...A travers ce rôle c'est Tati que l'on aperçoit. Tati et son refus d'accepter cette nouvelle vie moderne, déshumanisée et insensée. 
Hulot est donc un homme qui ne voit pas et ne veut pas voir le temps passé. On peut alors penser à l'image dans Mon Oncle, d'un Monsieur Hulot qui se retrouve gêné devant sa jeune voisine qui hier encore n'était qu'une fillette qui lui offrait des bonbons et qui soudain est devenue une jeune fille.

Pour conclure, Pierre Yves Bourdil dans sa monographie de Franquin nous parle du personnage de bande dessinée Gaston Lagaffe, propos qui peuvent alors tout à fait être retranscrits au personnage d'Hulot : en effet, comme Gaston, Hulot devient le symbole d'une hostilité de plus en plus affirmée à la modernité. Cependant ce dernier n'est pas hostile en soi au monde moderne, mais seulement lorsque ce monde interdit la fantaisie de l'individu. Hulot résiste donc par ses gags et représente une forme de comique à l'état pur, comique de l'ordre du décalage, de l'anomalie, de l'écart.. Le refus d'Hulot de suivre les chemins tout tracés et son entêtement involontaire à faire échouer toute forme d'action qui ne lui ressemble pas, en font le parasite d'un nouveau monde bourgeois et conformiste. 



[Les braves gens n'aiment pas que l'on suive une autre route qu'eux.] G. Brassens






Une modernité désapprouvée.


    La vie moderne que Tati nous montre à travers ses films n'est pas aussi belle qu'on pourrait le croire. Et pourtant il est vrai que ses grands bâtiments de verre, ses maisons design et ses gadgets high tech pourraient nous faire miroiter l'image d'une nouvelle ville, plus grande et plus belle..
Pour le réalisateur il en est autrement et cette modernité cache quelques vices..

       Tout d'abord il s'agit d'une modernité qui nous fait perdre tous nos repères. La ville de Playtime est évidemment grande mais surtout uniformisée. Tout se ressemble : les lignes, les formes, les gens...créant ainsi la sensation de se trouver dans un labyrinthe géant. Hulot cherche, se perd, essaye désespérément de retrouver Monsieur Giffart avec qui il a rendez vous, dans cette immensité. Il n'existe plus de limites entre l'intérieur et l'extérieur. Les espaces se ressemblent : dans le hall de l'aéroport, on pourrait se croire dans un hôpital. Le réel lui même semble se troubler : est ce Monsieur Giffart que Monsieur Hulot aperçoit la bas? Ou bien n'est ce que son reflet?
Difficile de s'y retrouver et par conséquent de se faire un chemin. Et pourtant il suffirait de suivre les flèches sur le sol..
Plus de place pour la pensée libre, il faut suivre les lignes et ne pas dévier. Quitte à ce que notre comportement et nos actes deviennent totalement illogiques
On a alors devant nous un monde oppressant : oppressant de bruit à l'extérieur, de silence à l'intérieur, oppressant par cette foule qui semble ne suivre qu'une et une seule direction, oppressant de similitude, de neutralité...





     Cette neutralité se retrouve également au niveau des couleurs, des tons qui s'étendent à une unique palette de gris, noir, blanc..les couleurs manquent. Comme la vie. Que ce soit dans les bureaux de travail où les hommes d'affaire portent tous les mêmes complets gris, les femmes les mêmes jupes longues et étroites, ou bien au sein même de la maison. La Villa Arpel par exemple est entièrement blanche, comme immaculée. Mme Arpel, maniaque de la propreté porte d'ailleurs chez elle une combinaison qui lui donne l'air d'une infirmière dans un hôpital.

 
Il est plaisant par contre de voir revenir les couleurs, les bruits de la vie, les rires, les éclats de voix, dans le petit bourg de Mon Oncle. Ou bien encore dans le village de Jour de fêtes.
Dans ces endroits, Tati y met la vie, la vraie, la simple. Celle des petites gens. La vie dans laquelle il est agréable d'aller se boire un godet entre amis ou de manger un gros beignet à la confiture à la sortie de l'école.


    Ainsi la vie moderne est aux yeux du réalisateur comme vidée de tout sens, comme totalement absurde. La modernité en devient ridicule. Ridicule car censée faciliter la vie et pourtant elle la complique. La Villa Arpel, dernier cri contemporain, en est un bon exemple : malgré que "tout communique", chaque espace de la maison a une seule fonction. Dans le jardin on trouve alors le coin pour déjeuner, celui pour boire le café et le coin pour recevoir les amis, séparés par des petits chemins en pierre qu'il faut suivre. Et bien sur, ne surtout pas marcher dans l'herbe! Les déplacements sont donc limités, presque chorégraphiés. Les mouvements, les espaces..tout doit suivre cette fameuse ligne de conduite. Pas d'écart possible, comme si tout avait une finalité. Et c'est bien ce qu'il manque à Monsieur Hulot d'après sa sœur : "ce qu'il faut à mon frère, c'est un but!"...

Et pourtant, malgré que tout soit bien défini, on a plutôt l'impression que ça tourne pas rond dans cette vie moderne.

 


    Et puis de toute façon, la modernité que nous présente Tati est un progrès qui n'ait réservé qu'aux riches. Ces derniers ne se mélangent pas avec le reste du village. Ils sont maniérés, prennent de fausses allures de petits bourgeois et sont superficiels.
Nous pouvons alors penser à Mme. Arpel mettant en marche son jet d'eau lorsque quelqu'un sonne à son portail. Mais l’éteignant aussi sec lorsqu'elle s’aperçoit finalement qu'il ne s'agit que de son frère Hulot. Une façon certainement de prouver une supériorité matérielle et donc sociale qui est censée éblouir.

 

Superficialité que ne comprennent pas "les pauvres", ceux qui vivent simplement. L'air perplexe et dépassé du marchand de quatre saisons qui vient apporter des légumes à Mme Arpel devant la fontaine et le bruit d'égorgement qu'elle produit lorsqu'elle se met en marche, est d'ailleurs très amusant et très significatif du gouffre qui partage ces deux catégories sociales.

On voit à sa démarche comme allégée de tout appréhension, qu'Hulot quant à lui préfère amplement monter les trois étages tarabiscotés de son vieil immeuble, alors bien plus original et convivial que la villa Arpel, symbole de l'habitat stéréotypé et déshumanisé. 









La modernité à l'écran

Jacques Tati a choisi de représenter la modernité avec efficacité à travers différentes techniques cinématographiques en prenant pour décor et sujet l'urbanisation grandissante des espaces français.



- Décors et Architecture : Jacques Tati a toujours accordé une grande importance aux décors dans ses films, et l'architecture dans Playtime est certainement sa consécration. Pour ce film, Tati décide de prendre tous les risques. Le tournage commencé le 12 Octobre 1964 en décors naturels à Orly est immédiatement interrompu. Il était en effet difficile d'interrompre le trafic dans un tel endroit. Le réalisateur décide alors de tourner la quasi totalité du film en studio à "Tativille". Pensée par Tati et dessinée par Eugène Roman, Tattiville commence à jaillir en Septembre 1964 sur un terrain vague de près de 15 000m2 à Joinville le Port.
C'est alors d'énormes constructions qui se mettent en place pour finalement voir apparaitre des escaliers roulants, de grands ensembles d'habitations, des immeubles aux façades de d'acier et de verre et des rues bétonnées...

La ville ultramoderne que Tati dépeint dans ce film est alors gigantesque et géométrique. Aussi bien en extérieur qu'en intérieur. Les lignes se croisent, paraissent infinies et semblent montrer le chemin à suivre pour les hommes comme s'il était prédéfini par tous ces traits urbains.
Les matériaux utilisés pour l'architecture sont également des plus modernes pour l'époque : acier, béton et verre.

Le verre donne un aspect de transparence, il abroge toute limite entre l'extérieur et l'intérieur. Il y a les bureaux de travail en verre mais aussi les maisons d'habitations en verre. Nouvelle maison ouverte sur le monde. Le simple passant est alors placé au rang de voyeur et les habitants à ceux d'exhibitionnistes. On voit tout et ça ne semble pas déranger. Par contre, on n'entend rien, comme si finalement cette transparence était opaque, vide. Le verre semble ouvrir vers un tout alors qu'il ne contient rien. Une modernité vide de contenu, vide de sons, vide de sens.

L'acier et le béton quant à eux amènent une dureté, une sobriété des tons à l'image d'une ville uniformisée.

La Villa Arpel dans Mon Oncle, qui n'est pas sans rappeler l’œuvre de Le Corbusier, est également un bon exemple d'architecture moderne : façade blanche et nue, toit terrasse, des formes géométriques cubistes, un plan libre (comme dirait Mme. Arpel : "Vous voyez, tout communique!") et construite avec des matériaux modernes.

L'intérieur de la maison est alors tout aussi futuriste: un aménagement sobre, pas de tapis au sol ou de tableaux au mur, un mobilier design qui étonne tellement les formes sont restructurées et des gadgets électroménagers high tech. Intérieur (résolument fonctionnel) qui facilite la vie de tous les jours, un intérieur symbole d'une nouvelle manière de vivre : une vie "sans ornements", déshumanisée et automatisée.






- Les sons et les bruits :

       Jacques Tati est un auteur des plus moderne par l'importance qu'il a donné aux sons et aux bruits dans ses films. Il a réussi à donner aux bruits une nouvelle dimension et les a élevés au rang de la parole. Ou plutôt devrait on dire, qu'en bouleversant la hiérarchie classique des sons au cinéma, la parole ne devient qu'un bruit parmi les autres. Il n'y pas ou très peu de paroles distinctes, les bruits et sons deviennent musique et prennent une place à part entière dans la bande son.
Ce refus de la narration classique et cette volonté de ne pas donner l'importance au Verbe, au contraire de privilégier le non verbal et de créer une véritable poétique du bruit, a fait de Jacques Tati un cinéaste avant gardiste. 

Dès lors, tous les sons du quotidien : bruit de pas, son d'une crevaison, d'une chute d'une carafe sur le sol...prennent une toute nouvelle ampleur et affirment toute leur capacité à faire rire et à amuser.

Il était alors simple pour Tati de rendre compte d'une nouvelle modernité à travers les bruits. De bruits robotisés et agressifs, la vie du futur en est remplie. Au sein même de la maison..



 

Ainsi les bruits de la modernité selon Tati sont ceux de la ville, des voitures, de la foule, ceux des robots et des machines. Ils prennent l'avantage sur la parole et donc de cette façon, sur l'homme.


- Les sujets traités :

   

       L’œuvre cinématographique de Jacques Tati se situe dans 
une période historiquement importante pour la France. Avec son premier film sorti tout juste au lendemain de la seconde guerre mondiale, Tati voit alors se développer une nouvelle société française qui veut tourner la page de la guerre, une société des loisirs, ouverte vers le monde et essentiellement les États Unis, une société qui se construit, qui se modernise.
Jacques Tati va alors s'intéresser à ces changements, se situe en tant qu'observateur, et les met en scène à travers ses films. Il en est d'autant plus moderne.

Par exemple, Les Vacances de M. Hulot, est sorti dans les salles de cinéma le 25 Février 1953 et les modifications que connaît alors la population française dans leur mode de vie sont en partie retranscrites.
Le développement des loisirs et du tourisme est montré de façon évidente. Les vacanciers ont à leur disposition diverses activités, le plus souvent sportives : ballade à cheval, ping-pong, tennis, gymnastique… Le personnage d’Hulot qui ne sait ni jouer au tennis (malgré l’originalité de son jeu qui lui permet de remporter tous ses matchs), ni monter à cheval, permet de montrer que l’accès à ces activités est un phénomène relativement récent et qu’il représente pour les vacanciers une nouveauté dans leur mode de vie.

         L’essor de l’automobile qui a lieu après guerre, est également présenté. 

Dans Mon Oncle, Monsieur Arpel, nouveau riche fier de sa maison futuriste, achète pour son anniversaire de mariage, une magnifique voiture américaine. Tati a toujours joué sur une rupture entre différentes périodes : montrer à la fois la société dans lequel il vit associée à une vision d'une société futuriste, ou en tout cas en avance avec sa propre époque. Ainsi cette voiture est à l'image du devenir de la société et son besoin nouveau de consommation.
Parfois cette rupture s'est faite "dans l'autre sens", de manière plus décalée :ne pas montrer le devenir de la société mais au contraire, montrer ce qu'elle a été. Ainsi dans Les Vacances de M. Hulot, cela passe alors par le symbole de la vieille voiture d’Hulot, pétaradante et complètement déréglée qui s’oppose aux belles voitures françaises ou bien américaines qui deviendront la mode quelques années plus tard.
          
Ainsi, les films de Tati permettent au cinéaste de peindre le début d’une époque, celle d’après guerre où une partie de la population commence à gouter aux plaisirs du début d’une société de loisirs et de consommation.  Mais la vision de la société française transmise par les films de Tati est plutôt pessimiste : une société qui ne se mélange pas, une société qui peut être, au lendemain de la guerre, ne sait pas encore véritablement prendre du bon temps… Quoi qu’il en soit, Tati a toujours pensé et dit que « derrière l’effet purement comique, se cache toujours un petit peu de drame ».