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lundi 12 décembre 2011


Playtime, Hulot dans la salle d'attente


Monsieur Hulot entre dans un grand immeuble en verre pour un rendez vous. Le gardien l'accueille et le fait asseoir.

1) Plan fixe. Le gardien d'un certain âge se dirige vers une grande machine complexe et couverte de boutons. Il appuie sur l'un d'eux en donnant l'air de ne pas savoir lui même ce qu'il est entrain de faire. Puis il appuie sur une deuxième, puis un troisième. A chaque fois des sons électroniques, jamais les mêmes : parfois un simple "bip", puis une succession de sons plus aigus, sont produits par la machine. Des lumières se mettent à clignoter nous donnant l'impression d'être devant une grande console de jeux vidéo.  Le gardien, complètement dépassé par cette technologie déroutante fini par obtenir une voix en ligne. Voix agressive et totalement mécanisée qui ôte alors toute trace d'humanité à cet échange. Il annonce l'arrivée d'Hulot et demande péniblement un correspondant :il est alors obligé de répéter plusieurs fois sa requête pour se faire comprendre à travers le haut parleur. Puis il appuie sur un ultime bouton, de façon presque aléatoire, pour donner fin à cette "discussion" et reste quelques instants à grommeler d'incompréhension devant la machine.


2) Changement de plan. Plan fixe à nouveau : Hulot assis au premier plan avec le gardien fumant sa cigarette et vue sur un très long couloir.
Des bruits de pas rythmés claquant sur le sol se font entendre annonçant l'arrivée du correspondant qui en effet apparait tout au bout du couloir. Monsieur Hulot qui n'a pas de vue sur le couloir, se lève pour l'accueillir mais le gardien lui fait signe de se rassoir et lui fait comprendre que l'homme que l'on entend n'est pas sur le point d'arriver: "Non, non, non..Oula". Le gardien regarde l'homme se rapprocher petit à petit. Hulot se relève, le gardien de nouveau lui dit de rester assis. Le gardien prend le temps de tirer une bouffée sur sa cigarette. Les bruits de pas se font de plus en plus proches tout en conservant la même allure, à la manière d'un rythme de métronome. Le gardien jette un dernier coup d’œil au couloir, voit que l'arrivée du correspondant est imminente et fait signe à Hulot de se lever. L'homme, droit, habillé dans un costume strict se présente alors face à Hulot qui se met à chercher laborieusement le papier du rendez vous dans ses poches. Il le trouve finalement grâce au gardien qui lui indique sa poche intérieur. L'homme lui demande alors de passer dans une autre pièce.

3) On fait entrer Monsieur Hulot dans la salle d’attente. La porte résonne quand il la franchit (« gling ! ») et quand il la ferme (« blank ! »). On se situe à l’extérieur de la pièce qui est elle aussi en verre. On entend les bruits de circulation du dehors, on voit les passants de la rue marcher sur le trottoir à quelques mètres seulement d'Hulot, enfermé dans sa "bulle" de verre. Par conséquent, bien que la caméra se trouve dehors, nous pouvons également le voir entrain d'examiner les moindres recoins de la pièce : les portraits accrochés au mur (portraits des patrons), les fauteuils. Il tâte l'épaisseur de l'un d'eux, et s'y assoit bassement.


4)Nouveau plan :on se situe maintenant à l’intérieur de la salle d’attente, avec Monsieur Hulot. L’atmosphère devient alors pesante, plus un son, le silence est lourd. Hulot se lève pour mieux observer un portrait, puis se retourne vers son fauteuil, surpris par le "flop" qu'il a produit à sa levée.

 5) Plan d'extérieur.   On "entend" à nouveau. Hulot arpente la salle, puis s'attarde sur une table proposant différents journaux. Il manque alors de tomber comme si le sol était devenu glissant mais poursuit son chemin en s'assurant cette fois ci de la stabilité du sol. 


6)Plan d'intérieur : La position de la caméra et la transparence du décor permettent d'avoir trois champs différents. Un premier plan : la salle d'attente dans laquelle on se trouve. Un second plan : le hall d'entrée de l'immeuble où se trouve le gardien.
Et un troisième plan : la rue et la circulation extérieure. 
Hulot examine de plus près un autre fauteuil (et pourtant il s'agit du même que le précédent): il tâte son dossier plusieurs fois, on entend son bruit ("pchit) lorsqu'il s'y appuie. Il finit par s’asseoir. Le fauteuil émet un grand « pfff… ». Puis comme un enfant qui s'amuserait, Hulot se relève rapidement pour regarder le coussin reprendre sa forme initiale.


Cette scène est un bonne représentation de la modernité dépeinte par Jacques Tati et conclura en cela cette étude. 

Tout y est : 

- L'importance donnée aux sons qui rythment les scènes et qui habitent véritablement les lieux. Les bruits prennent le dessus sur la parole qui n'est que grommelée. La voix apparait alors davantage comme un accessoire qui permet de caractériser un personnage. Les bruits quant à eux ont une toute autre portée : ils personnifient les objets mais également les espaces. Véritable génie de la part de Tati d'utiliser les sons pour différencier l'intérieur de l'extérieur dans ces espaces sans délimitations.. De cette manière, est ainsi mis en valeur le langage non-verbal, celui des gestes, des rythmes pour finalement aboutir à un système formel complexe, celui d’un code rythmique abstrait..le code de la modernité.

- L'image d'une modernité froide et mécanisée : dans cette scène et à travers le personnage du gardien, l'homme se retrouve face à la machine. Son utilisation parait alors fastidieuse et vidée de toute humanité. Les tons de la vie sont froids comme le verre. Les espaces sont certes beaux, mais vides. Les limites en sont de cette manière comme abrogées. Même le sol parait parfois apparaitre instable, comme se perdant lui même dans toute cette transparence. Hulot en perd même son équilibre.

- Le personnage d'Hulot : Perdu et mal à l'aise dans cette jungle urbaine et dans ces espaces sans vie, il apparait comme à son habitude naïf, gaffeur tel un contemplateur de la vie moderne qui découvrirait une nouvelle "philosophie" de vie et des rapports humains. Le personnage du gardien âgé, de petite taille et totalement perdu dans l'immensité du hall (il a probablement connu une autre manière de travailler) apparait alors comme aussi anachronique que Monsieur Hulot en ces lieux déshumanisés et comme le seul lien qui le rattache à une vie "dépassée".


- L'humour de Tati : Toujours présent bien que la scène soit profonde de sens et de gravité : Les personnages en total décalage vis à vis des lieux, le ridicule des situations, des objets design normalisés et sans intérêts, des sons amplifiés dans ces espaces vides, ridiculisant encore davantage cette modernité creuse et absurde. 
L'humour amené subtilement par le réalisateur permet alors de rire de toutes ces apparitions modernes auxquelles sont confrontés les deux personnages, dédramatisant l'angoisse née de la froideur de l'environnement comme s'il était nécessaire de prendre du recul et finalement d'en rire pour ne pas en pleurer. Le rire comme arme car "rire c'est réfléchir" disait il..
Jacques Tati rejoint en cela les grandes figures telles que Charlie Chaplin et son personnage de Charlot ou bien encore Jean Jacques Sempé avec son regard "innocent" mais juste de la vie moderne, qui ont su offrir des échappées poétiques hors de la modernité sans jamais la quitter. 









SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES ET WEBOGRAPHIQUES :


- CHION Michel, Jacques Tati, Cahiers du Cinéma, Coll. Auteurs, Bourges, 1987


- MAKEÏEFF Macha et GOUDET Stéphane, Jacques Tati : deux temps, trois mouvements, Naïve, 2009

- GUERAND Jean Philippe, Jacques Tati, Gallimard, 2007


- Beaux Arts magazine, Hors Série Humour et BD, TTM Editions, Paris, 2011


- http://paris.blog.lemonde.fr/2009/04/24/enfin-jacques-tati-lultra-moderne/

- http://www.tativille.com/


- www.youtube.com